Lise Pressac Non classé Hymne à la voix

Hymne à la voix

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« J’entendais que les jours où j’arrivais « en pyjama », ma voix était une « voix de pyjama », mal coiffée comme moi. Tiens ? Etre invisible ne dispense pas de la « bonne présentation » ? La position que l’on choisit, la distance par rapport au micro, la hauteur du micro par rapport à son corps, à son souffle, change la voix. Le moindre sourire s’entend, et ce n’est pas seulement un son qui passe, c’est de la chair.
La voix est, je l’imagine, ce qui se rapproche le plus de l’empreinte digitale.
Ou du sourire.
On l’aime ou ne l’aime pas, sans avoir à s’en justifier »

Lire ces mots de Kriss*, si justes que tu aurais aimé les écrire toi-même.
En 2014, à l’heure où la radio veut tuer cette magie qui est son identité même, en ajoutant de l’image partout.
Je suis autant une femme de radio que de télévision, je connais les contraintes et les libertés de chacun des deux media.
Coller de l’image sur un reportage réalisé pour la radio c’est autant insulter le reporter radio que le reporter télé.
Car un bon reportage télé ce n’est pas juste coller des images sur un commentaire.
Et un bon reportage radio c’est du son suffisamment bien utilisé pour faire naître des images mentales.
Je ne parle pas de la vidéo qui apporte de la valeur ajoutée à un reportage radio.
Avec les à côtés, les photos des coulisses du reportage.
Non ce qui est agaçant c’est le reportage radio, tel qu’il a été diffusé sur les ondes, avec des images collées dessus.
Coller, je ne vois pas d’autre terme.
Cela sous-entend qu’un reportage télé n’est que juxtaposition de plans d’illustration qui ne veulent rien dire.**
Et cela sous-entend que le reportage radio ne se suffit pas à lui-même, a besoin d’être soutenu par des images.***

Je connais l’importance de filmer les interviews de politiques dans les matinales de radio.
Parce que leurs expressions peuvent en dire aussi long que leurs propos.
Mais surtout parce que pour un journaliste télé c’est bien pratique à utiliser dans un sujet.
Bien mieux qu’une onde avec la photo de l’interviewé.
La télé a horreur des images figées.
Pour moi c’est une des seules utilisations intelligentes de la radio filmée.

La radio est un media de l’intime.
Vous entrez dans la vie des gens, dans leur cuisine, leur salle de bain, en plein coeur de leur réunion de famille, vous accompagnez leurs moments de joie ou de tristesse.
Ce qui explique la relation très particulière d’un auditeur avec le journaliste ou l’animateur de l’autre côté du transistor (oui j’aime ce terme désuet même si ma Freebox ou mon Ipad captent mieux la radio que mon poste traditionnel).
Les auditeurs tissent un tel rapport avec nous que lorsqu’ils nous rencontrent ils ont cette proximité qu’ils n’ont pas avec des gens de télé.
Avec eux il y a de la distance, de la déférence.
J’aime cette intimité de la radio.
Et je comprends qu’à son tour l’auditeur veuille pénétrer dans notre intimité à nous, celle du studio.
C’est pour cette raison que la vidéo s’est imposée comme une évidence la première année de l’aventure #dcdc.****
Le sujet et le format de l’émission s’y prêtaient.
Et petit à petit les auditeurs se sont attachés à une bande qu’ils avaient envie de voir.
Les gestes, les sourires, les clins d’oeil entre nous.
Un bonus pour ceux qui regardaient en vidéo.
Sans que l’auditeur derrière sa radio ne manque rien d’essentiel.*****
Rien qui ne s’entend mieux que le sourire (ou son absence) en radio.
Pas besoin de le voir en image.
Pour autant, la vidéo, pour les invités, cela pouvait être un frein.
Certains aiment la radio, justement parce qu’ils y sont plus à l’aise, qu’ils n’y ont pas la pression des caméras.
Lorsqu’elles apprennent qu’il y a des caméras en studio certaines artistes nous ont demandé s’il y avait une maquilleuse, du coup.
Pendant l’émission elles font attention à leur image.
Ne se lâchent pas autant qu’elles le voudraient.
Je parle des artistes féminines, pas parce qu’elles sont plus superficielles que leurs collègues masculins mais parce qu’elles savent que elles, on ne les ratera pas si elles ont des poches sous les yeux ou un trou dans leur pull.
Combien d’invités nous ont dit « J’ai accepté de venir car j’adore la radio ».
Eux qui sont en permanence exposés (oui ils l’ont choisi, je ne les plains pas), se sentent en studio plus libres de leurs gestes et de leurs paroles.
C’est aussi pour cela qu’il y a plus d’interviews incroyables en radio qu’en télé à mon sens.
Il y a des gens derrière mon poste dont j’aime le timbre.
Journalistes, animateurs, intervieweurs, interviewés, diseurs de mots.
Des voix qui me font vibrer, rêver, voyager.
Et que je ne cherche pas à associer à un visage.
C’est une des libertés qu’il nous reste.
Echapper aux images sous lesquelles nous sommes noyés toute la journée.
Et préserver la magie.

* Kriss « La sagesse d’une femme de radio » (L’oeil neuf éditions)
** Non je ne vais pas vous donner ici de cours de caméra
*** Non je ne vais pas vous donner ici de cours de nagra, j’en serais incapable
**** #dcdc : « Des clics et des claques », émission du lundi au jeudi de 20h à 21h sur Europe 1
***** Il y a même le risque de regarder plus que d’écouter ce qui se dit

4 thoughts on “Hymne à la voix”

  1. Moi qui ai grandi avec la radio et qui ai un poste dans chaque pièce, j’aime bien pénétrer dans l’intimité de la radio mais je trouve que Twitter est plus efficace que la vidéo. Merci pour ce beau texte sensible (et aussi pour Kriss) 🙂

  2. «Il y a même le risque de regarder plus que d’écouter ce qui se dit»

    Ça m’est en effet arrivé pendant #dcdc ! Je regardais les gestes de invités, tes réactions aux tweets, les petites coulisses de la régie quand tout à coup : «c’est quoi le sujet de l’émission déjà ?»

  3. 1000 fois d’accord avec Steve. Des fois le jeu de l’interaction était si fort que l’on passait quelques instants par dessus le contenu…
    Pour des tas de raisons c’est toujours remuant de parler de cette période #dcdc en ce qui me concerne.

    Merci pour les mots Lise.

  4. Très juste!!
    L’affection que je porte à la radio se passe très bien d’images. Rien n’est meilleur que d’écouter une bonne émission de radio (Bernard Lenoir, barabara Carlotti, Emilie sur Le Mouv…) en conduisant, seule, dans la nuit.

    J’essaie d’éviter de mettre un visage sur une voix de radio maintenant, ce n’est plus la même chose une fois d’écouter une émission en sachant qui est derrière le micro. Finalement c’est un mystère délicieux d’être très familier avec une voix sans connaitre son visage, ce n’est plus la même chose d’écouter une émission sans ça, l’imagination n’est plus aussi libre .

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